Nous vivons une époque où le marketing est tiraillé entre deux forces opposées. D’un côté, la logique de la polarisation, qui prospère sur les divisions, la captation de l’attention à tout prix et la radicalisation des comportements. De l’autre, le marketing circulaire, qui vise à créer des écosystèmes vertueux entre marques, consommateurs et société.

Au cœur de cette tension se trouve la stratégie Paid Media : quels environnements privilégier, quelles narrations amplifier, et comment garantir que l’investissement publicitaire ne contribue pas – malgré lui – à fragiliser la perception de marque ou à dégrader le lien de confiance avec les consommateurs ?

Marketing de la polarisation : l’économie de l’anxiété

A l’ère de la post-vérité où les récits servant les intérêts des puissants passent avant les preuves, le citoyen consommateur bombardé de fake news voit sa confiance envers les sources officielles s’éroder.

En conséquence, l’engagement émotionnel et la fragmentation sociale se renforcent. Et les préférences en matière de marques reflètent désormais l’identité politique.

Ainsi, le marketing de la polarisation exploitant ce contexte repose en paid media sur :

  • la surexposition dans des moteurs de recommandation notamment les feeds algorithmiques des réseaux sociaux, sensibles aux bulles médiatiques où dominent clashs, contenus anxiogènes et sur-stimulation (cf l’enjeux de découvrabilité dans l’économie du choix),
  • des environnements qui fragilisent la brand safety (désinformation, contenus polémiques et de faible qualité),
  • la logique du CPM bas et de black box dans les ciblages, au détriment de la qualité de l’attention.

La croissance des budgets investis sur TikTok est une exemple intéressant. Au-delà des questions de protection des données personnelles, plusieurs études montrent que l’usage intensif de TikTok est corrélé à une hausse de l’anxiété et de la dépression, une baisse inquiétante de la concentration. Amnesty International ou le Sénat français notamment s’en inquiètent.

Pour les marques il y’a là des risques majeurs :

  1. Être associées à un contexte identifié comme toxique (perte de confiance, rejet implicite).
  2. Miser sur des audiences volatiles qui ne construisent pas de relation durable.
  3. Limiter la compréhension de le performance à des vanity KPI mesurés par les plateformes mêmes qui diffusent les campagnes (Depuis quand un ad-recall mesuré par des méthodologies de BLS biaisées est-il un indicateur de performance satisfaisant ?).

Marketing circulaire : un modèle d’écosystème

Le marketing circulaire s’inspire de l’économie circulaire : chaque interaction publicitaire alimente une relation durable, chaque euro investi bénéficie à la fois à la marque et à son environnement culturel.

Cette approche qualitative repose sur trois principes fondateurs :

  • Pertinence contextuelle : investir dans des environnements qui valorisent la marque plutôt que de la diluer dans des feeds saturés.
  • Réciprocité : apporter de la valeur (contenu utile, inspiration, divertissement de qualité) plutôt que d’imposer une pression publicitaire.
  • Durabilité de l’attention : privilégier la construction d’equity plutôt que l’optimisation d’un seul ROAS mesuré selon des méthodes souvent discutables.

Patagonia délivre une masterclass depuis sa création dans ce domaine :

La bible du marketing circulaire : Let my people go surfing - Yvon Chouinard

Paid Media : réhabiliter la valeur contextuelle

Les données des plus grands instituts d’étude média sont claires : le contexte influence la mémorisation et la perception publicitaire.

  • +30 % de mémorisation dans un environnement éditorial premium vs un feed social (IAS 2022).
  • +12 % de confiance envers les marques dans un contexte sûr (Ebiquity 2023).

👉 Le Paid Media a tout à gagner à équilibrer la logique « feed first » des plateformes sociales pour redonner une place stratégique aux environnements qualitatifs et contenus éditoriaux (presse digitale, YouTube long-form, podcasts, TV connectée).

Influence marketing : une arme à double tranchant

Si l’influence a ouvert une voie culturelle nouvelle, elle sature à son tour :

  • 65 % des consommateurs se méfient des contenus sponsorisés (Kantar 2024).
  • Les partenariats trop fréquents diluent la crédibilité des créateurs.
  • La répétition des formats stéréotypés amplifié par la création automatisées par l’IA et le conformisme aux tendances éphémères qui se succèdent engendre une fatigue publicitaire.

La clé n’est donc pas de remplacer le Paid Media par l’influence, mais de les orchestrer :

  • Les créateurs comme sources d’insights et de codes culturels.
  • Le Paid Media comme outil d’amplification dans des contextes maîtrisés.

Les marques doivent devenir des médias

Un changement de paradigme s’impose : les marques ne peuvent plus déléguer leur attractivité culturelle uniquement à des créateurs externes. Elles doivent elles-mêmes se penser comme des éditeurs de contenus, raconter leurs valeurs avec authenticité, pour réussir à fédérer une communauté de clients ambassadeurs.

Cela implique :

  • Construire une ligne éditoriale de marque (ton, format, valeurs exprimées).
  • Développer ou s’associer à des studios capables de produire du contenu récurrent, avec des signatures culturelles propres.
  • Créer des expériences média hybrides (chaînes YouTube, podcasts, newsletters, live experiences) où le Paid Media n’est pas qu’un outil de push, mais un accélérateur d’une narration créative.

👉 C’est le retour à une logique de media ownership, essentielle dans une époque de guerre de l’attention, et où la data first-party est un actif stratégique de connaissance et de qualité de l’expérience de marque.

Créer de la valeur avec de nouveaux business models circulaires

Le marketing circulaire n’est pas seulement une question de communication, mais aussi de business model.
La question n’est plus « comment vendre plus ASAP », mais « quelle valeur la marque peut-elle créer pour ses clients » pour mériter de les fidéliser (et donc baisser son churn, augmenter sa LTV Lifetime Value).

Le luxe montre la voie avec l’accélération de l’hospitalité face à une lassitude du consumérisme statutaire.

  • L’objectif n’est pas seulement de vendre des produits et un signe social, mais d’offrir une expérience culturelle et émotionnelle.
  • Ces expériences nourrissent la désirabilité et la fidélité, tout en créant de nouveaux relais de croissance.

De la même façon, dans d’autres secteurs :

  • L’automobile explore les modèles d’abonnement et de mobilité servicielle.
  • L’alimentaire valorise des offres durables (circuits courts, transparence, packaging réutilisable).
  • Le retail se réinvente par des expériences expérientielles (concept stores, personnalisation).

👉 Le Paid Media doit alors servir à amplifier cette création de valeur élargie et faire part de l’expérience de marque, pas seulement à sécuriser la visibilité du dernier mètre comme le propose le retail media.

Conclusion : un enjeu business et sociétal

Le marketing de la polarisation promet des résultats rapides, mais détruit de la valeur culturelle et fragilise la confiance.

Le marketing circulaire exige plus de rigueur, mais il ouvre une voie de croissance durable : marques comme médias, expériences comme valeur, et Paid Media comme catalyseur. Chaque euro investi renforce un écosystème.

  • Soutenir les environnements polarisants, c’est contribuer à la désinformation et à l’anxiété sociale.
  • Soutenir les environnements circulaires, c’est construire un capital de marque durable et une contribution sociétale positive.

Hors les consommateurs le perçoivent : 74 % des Français attendent des marques qu’elles participent à un écosystème informationnel plus sain (Havas, 2024).

Pour reconnecter stratégie marketing et Paid Media, trois priorités émergent :

  1. Réintroduire la valeur contextuelle dans les arbitrages budgétaires.
  2. Orchestrer influence et Paid Media au lieu de les opposer.
  3. Investir dans une logique de marque-média, avec des business models circulaires qui créent de la valeur nouvelle.

Finalement, la vraie question n’est pas seulement où louer de l’accès à une audience, mais quelle qualité d’attention créer entre une marque et ses parties-prenantes, et quel modèle de société financer.